Je viens de lire plusieurs contributions dont celles des historiens René Bélénus (Guadeloupén) et Gilbert Pago (Martiniquais), ainsi que la protestation du député Martiniquais, Serge Letchimy, sans oublier le questionnement insolite de Jean Crusol : « Pourquoi ne détruit-on pas les statues en Guadeloupe ? », à propos du geste des jeunes, qui le 22 mai 2020, ont entrepris de démolir la statue de Schoelcher.
Sachez, M. Crusol qu’au mois d’avril 2015, les Guadeloupéens, réunis en masse, à la Pointe Allègre, dans la commune de Sainte-Rose, ont détruit une imposante statue érigée à la gloire des premiers Colons français installés sur nos terres.
Par ailleurs, je ne comprends pas que l’on puise systématiquement interroger cet acte des jeunes sur le seul angle de l’interprétation de l’histoire de nos Peuples. En effet, les auteurs, quels qu’ils soient, intellectuels ou politiciens, mettent l’accent sur l’interprétation de l’histoire que renfermerait cet acte de destruction. Voilà des enfants du pays qui disent avec leur geste qu’il n’acceptent pas la situation actuelle qu’ils relient à un enseignement, à une interprétation de leur histoire, à une manipulation politique bienveillante du passé, de la part des élus locaux, et divers auteurs qui leur répondent : « Écoutez ! Vous vous trompez. Il n’y a pas que les esclaves qui étaient contre l’esclavage. Certains philanthropes Français, dont Victor Schoelcher, ont consacré une bonne partie de leur vie à défendre la cause de la dignité des Africains réduits en esclavage dans les îles de la Caraïbe…etc. »
Soyons sérieux !
C’est, peut-être, par ce seul angle que les dits observateurs ont compris le geste initié, mais j’entends, je perçois autre chose. On ne peut leur opposer la grande leçon d’une farandole interprétative de la reconstitution du passé (on remonterait presque au Grec Hérodote !), d’autant que ces jeunes n’ont, à ma connaissance, jamais prétendu se poser en donneurs de leçons d’histoire. Ils nous ont mis devant un geste présent qui traduit un mal être immédiat forcément en relation avec ce qui les a précédé, en l’occurrence, l’action de Victor Schoelcher qui a été très actif tout au long du XIXe siècle, en Martinique et en Guadeloupe, mais pas seulement.
On peut toujours tenter de réduire leur geste au seul symbole qu’ils ont visé, par une destruction matérielle, mais je comprends, bien au-delà de la masse de pierre renversée, qu’il y a autre chose qui est communiqué. Et cela m’intéresse.
Je ne vais donc pas m’attacher, à cette occasion, à reconnaître que des philanthropes Européens (d’abord des Britanniques, des Danois et autres Français…) se sont penchés sur les conditions de vie des esclaves au XVIIIe, mais surtout au XIXe siècle, dès lors que l’évolution de leur société ait rendu inacceptable, aux yeux des plus éclairés d’entre eux, cette animalisation de l’homme africain à peau noire. Non ! Ce fait ne présente aujourd’hui, qu’un intérêt relatif dans la mesure ou, cent cinquante à deux cents ans plus tard, au sommet de ces mêmes sociétés (en terme de pouvoir et de valeurs), les discriminations anti-noires sont actives, opérantes et génèrent, bien souvent comme aux Etats-Unis, des assassinats, des crimes restés impunis.
Aucune défense de l’engagement de Victor Schoelcher, aussi pertinente serait-elle, ne saura rendre justice à la souffrance réelle exprimée par ces jeunes Martiniquais.
Aussi, commençons par consacrer à leur douleur ainsi extériorisée l’attention nécessaire. Par exemple, en entamant un débat, au sein de l’assemblée de la Collectivité martiniquaise, sur la portée réelle de l’abolition de 1848. Donnez leur la parole. Entamez le débat sur les conditions de vie actuelle de la jeunesse martiniquaise…bref, répondez à leur geste sur le terrain de sa pleine signification présente. Entendez les ! Ne leur opposez pas la seule valeur de l’histoire en réponse à leur souffrance exprimée ! Ils ont droit à beaucoup plus d’égard…