A l’occasion du confinement qui nous est imposé et qui nous apparait tout à fait normal dans le cadre de la pandémie Covid-19, nous vous soumettons quelques réflexions d’un ancien colonel de l’armée de terre française qui servit son pays au début du XIXe siècle dans la colonie de Guadeloupe. Il eut le malheur d’être l’ officier supérieur commandant de la Guadeloupe, qui eut à répondre devant un tribunal militaire de sa responsabilité face aux troupes anglaises qui occupèrent la Guadeloupe en 1815, avec l’aide d’habitants de la colonie.[1] Il s’agit de Eugène, Edouard BOYER-PEYRELEAU, (dit communément Boyer De Peyreleau) qui quelques années après, se mit à la plume et rédigea en trois tomes un ouvrage intitulé : Antilles françaises, particulièrement La Guadeloupe, depuis leur découverte jusqu’à 1925.[2]
Ce qui m’a inspiré c’est avant tout la geste et les attitudes de l’actuel préfet GUSTIN[3] dans la gestion quotidienne des affaires de la colonie, et les réponses de la classe politique locale. Il me semble que le représentant de l’Etat sait de quoi il en ressort. Les représentants politiques, les « zéli loko », se complaisent dans un rêve éveillé. Malheur à ceux qui feignent de ne pas comprendre la réalité qui leur est imposée !
Ce passage du tome 3 de l’ouvrage précité nous fournit une matière vieille de deux siècles, mais particulièrement éclairante au regard de la situation actuelle dans les Caraïbes.
Que dit-il donc en 1826 ?
(…) le gouvernement fut réparti entre un capitaine-général, un préfet colonial et un grand juge ou commissaire de justice.[4]
(…) Entourées de mers, situées à de grandes distances de la métropole, d’un accès facile à tout ennemi extérieur, les Antilles françaises doivent être mises en état de se suffire longtemps à elles-mêmes.
Les foyers de troubles allumés dans leur voisinage, l’esclavage permanent, base de leur agriculture et de leur prospérité, les tiennent dans un éveil continuel. Une population de diverses couleurs, qu’accroissent chaque jour des individus accourus ou amenés sans choix, de toutes les parties de la France; une multitude de marins de toutes les nations que le commerce y attire et dont le ciel de l’équateur fait fermenter les passions, influent à toute heure sur leur tranquillité et les mettent dans un état de crise perpétuelle difficile à exprimer, et dont le capitaine général Villaret de Joyeuse, essaya de donner une idée, en disant : « que même en temps de paix, son île était dans un état de siège moral ». Il faut donc aux colonies une puissance forte, réprimante, rapide comme le mal qui les menace, et dont elle doit prévenir ou arrêter l’invasion ; par conséquent cette autorité doit-être une et dégagée de toute entrave. La concurrence des pouvoirs y est contre la nature des choses a très-bien dit, M. Durand-Molard.[5]
L’arrêté organique des consuls disait, à la vérité, qu’en cas d’urgence, le capitaine-général pourrait, comme dans les places de guerre, surseoir à l’exécution des lois par une déclaration d’état de siège, ce qui annonçait que l’unité d’action et de mouvement était considérée comme le seul moyen de salut.
Mais, puisque les colonies sont toujours à-peu-près dans cet état d’urgence, pourquoi ne pas y rendre l’unité d’action permanente ? C’est le seul moyen d’éviter les discussions, les rivalités, les prétentions exagérées, les tracasseries et les conflits de pouvoir dont les colonies, plus encore que les agents de la métropole, ont eu de tout temps à se plaindre. (…)[6]
L’auteur de ces lignes est un officier qui revient sur les événements survenus en Guadeloupe en octobre 1801. Nous convenons que les circonstances de la production de son récit ne sont pas tout à fait sereines. Soit !
Toutefois, la veine profonde de son discours est proprement colonial et assimilationniste. D’ailleurs, c’est dans l’air du temps, car les trois assemblées législatives de l’époque considéraient que les colonies faisaient partie intégrante de la France.
Nous sommes appelés à comprendre les comportements actuels des personnages de l’appareil d’Etat, comme la continuation d’un état d’être, d’une philosophie politique née à l’époque moderne et consubstantielle à la naissance des premières possessions coloniales dans la Caraïbe. M. GUSTIN est un représentant typique de l’Etat colonial. Les politiciens de Guadeloupe eux, rêvent d’égalité et de fraternité, tout en acceptant dans la réalité d’être méprisés et infantilisés. Ils sont conscients d’être des dominés et cultivent la répulsion des faibles, à savoir : « Héla ! Héla ! Ou ka toufé mwen ! »[7] ! Un cri, certes, mais calfeutré, digéré afin de ne pas déplaire à l’assassin. Quelle misère !
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[1] Il fut condamné à mort le 11 mars 1816, par un tribunal militaire, mais le Roi commua la peine en emprisonnement à perpétuité. La parution dans l’Almanach de Guadeloupe de 1822, d’une note portant sur 1815 et qui vilipendait le gouverneur Linois et lui-même, adjudant-commandant, le convainc de poursuivre son histoire de la Guadeloupe après 1794, d’où le tome 3.
[2] EE. Boyer-Peyreleau, Antilles françaises, particulièrement La Guadeloupe, depuis leur découverte jusqu’à 1925, 2e édition, 3 tomes, Paris,1826.
[3] Actuel préfet de Région Guadeloupe. Auteur de bon nombre de décisions contestées : réquisition pour la fourniture d’eau ;, « les chiens aboient, la caravane passe !, c’est de lui ; état d’urgence… etc.
[4] Un arrêté du 29 germinal an IX(19 avril 1801) , nomma : capitaine-général, le contre-amiral Lacrosse; préfet colonial, le conseiller-d’état Lescalier ; et commissaire de justice, un ancien magistrat, M. Coster.
[5] Auteur d’une brochure intitulée : « Essai sur les Colonies »…, in EE.BP.
[6] Op. cit., EE. Boyer-Peyreleau, tome 3, pages 71-73. Ce passage est tiré du Livre Neuvième du tome 3 et qui s’intéresse aux « Événements qui se succèdent à la Guadeloupe pendant l’année 1801 ».
[7] Trad. française : « Ho ! Ho ! Tu m’étrangle, dis ! », un peu à la manière de Ti Fabrice (voir album du comique du Raizet-PàP).