Le dernier acte des salariés d’Air France mis en exergue par toute la presse nous interpelle. En fait, ce qui est surprenant c’est la réaction des « institutionnels »: « Hola ! Quelle sauvagerie ! Pourquoi tant de violence dans les rapports sociaux? N’y a – t – il pas des instances précisément réservées au dialogue? Dans quel pays est – on ? Ciel ! Que se passe – t – il ?« …etc, etc… Que des formules hors du temps réel, anhistoriques, pourrait – on dire ! En effet, ce genre de commentaire indique, à priori, que leurs auteurs s’imaginent être dans un monde figé, fixe dans ses assises et immobile dans les rapports sociaux. En fait, la base fondamentale de cette expression « anormale »des rapports sociaux repose sur un « socle de convection sociale », actif depuis un peu plus de cinq siècles.
Ce n’est pas le fait de la manifestation, en soi, des salariés d’Air France, qui nous a amené à ces réflexions. Ce sont les propos qui ont suivi, les commentaires qui ont accompagné les images de cadres déshabillés, la dramaturgie orchestrée par le flot télévisuel, avec comme conséquence, l’arrestation de cinq syndicalistes; Voilà, ce qui nous interpelle profondément. Et, ce ne sont pas les contenus des propos diffusés qui nous arrachent ces quelques considérations, mais le sens des rapports qui lient les protagonistes. Voilà d’où nous aimerions apporter quelques réflexions. En guise d’interrogation : Quels sont les tenants d’une telle évolution sociale en Occident ? Quelles manifestations enregistre – t – on depuis peu ? Quel avenir peut – on envisager pour les sociétés concernées ?
La constitution du « nouveau monde », il y a cinq siècles, nous mène à la genèse d’un « socle de convection sociale ». Comme en d’autres temps, la société humaine, ou partie de la société humaine, a connu un bond qualitatif dans sa constitution ancestrale, dès lors que les apports du « nouveau monde »se déversaient sur les côtes occidentales de l’Europe. Toutefois, personne ne pouvait imaginer les contraintes humaines, les bouleversements sociaux qu’allaient engendrer ces nouveautés. Des apports en matière de produits, de marchandises, de goûts…Pas seulement. En effet, le tabac, l’indigo, sucre, le café, le cacao, la vanille, la noix de muscade, le poivre et les épices de toute sorte…pour certains déjà connu de rares couches sociales, verront se multiplier leur consommation, celle – ci s’étendant au gré de l’extension des villes et du développement du commerce de gros autant que de détail. Ces additions successives ne devaient apparaître aux yeux des Européens que dans l’ordre d’une accumulation, (cf. toutes les thèses sur l’économie capitaliste) réputée positive dans son acceptation matérielle. Sur le sujet, les idées les plus pertinentes reconnaissent une origine bourgeoise à ces secousses sociales dont l’épicentre se situe en Occident. L’extension territoriale des conquêtes de cette classe ne se limite pas à l’Occident. Les voies maritimes, vers le sud (Afrique) et l’ouest (Amérique) en ouvrant l’imaginaire accès à l’est (Inde et Chine…) alimentaient, en retour, les métropoles des rencontres faites opportunément. Telle est la source des marchandises débarquées des innombrables colonies européennes. Cette évolution des rapports entre métropole et colonie, n’allaient pas s’arrêter à un simple échange matériel, au contraire, elle va créer les conditions d’une inter-connexion entre ces pôles. Cela signifie qu’il ne faut pas envisager de manière univoque l’échange, de métropole à colonie, mais dialectiquement, métropole-colonie, colonie-métropole. Autrement dit, le nouveau « socle de convection sociale », de l’Occident s’étend et envahit le globe terrestre. Le monde est ainsi créé de toute pièce. Nombre de théories ont tenté d’éclairer depuis le XVIIIe siècle ce phénomène.
Depuis la colonie de Guadeloupe, nous percevons la manifestation des salariés d’Air France, avec ses conséquences, comme un effet boomerang des rapports générés par la colonisation moderne. Les porteurs de capitaux occidentaux ont appris à considérer avec hauteur, avec condescendance les producteurs réels des énormes profits qu’ils tirent de leurs investissements coloniaux. Entre le XVIe et le XIXe siècles, le travail servile leur paru la seule suite à un rapport discriminé par essence. La couleur noire de la peau des Africains devint la discrimination par excellence. Ce vecteur de l’exploitation scandaleuse des forces de travail, à l’échelle internationale, continue d’opérer par effet boomerang dans les métropoles occidentales. Lorsque l’UGTG (union générale des travailleurs de Guadeloupe) fut créée en décembre 1973, le patronat estima qu’il y avait là, un crime de lèse-majesté. Seule la métropole a la capacité d’assurer la représentation des protagonistes sociaux (patronat et ouvriers compris). C’est avec un mépris insondable que les usiniers d’abord, puis les hôteliers et les patrons, en général, ont perçu cette création endogène. « Vous n’êtes rien ! Nous sommes tout ! C’est à nous que revient l’acte de désigner les choses, de créer ce que Dieu n’a pas jugé bon de mettre au monde ! Bref ! Vous la fermez ! Allez vous faire voir !… » Il n’est pas vain de vous soumettre les échos de silences quotidiennement entendus. Il ne saurait être inutile de vous rappeler qu’en mai 1967, à Pointe à Pitre, lors des négociations paritaires, dans le BTP, le patron des patrons, avait sorti : » Quand les nègres auront faim ils reprendront le travail ! »… Propos qui furent (manipulés ou pas) à l’origine des manifestations des ouvriers du bâtiment que l’Etat réprima militairement. Résultats : des dizaines de morts, sans responsabilité institutionnelle. Seules des dizaines de Guadeloupéens furent emprisonnées et condamnées, juste avant mai 1968 en France. Plus proches des salariés d’Air France, les événements qui se sont déroulés dans les banlieues nous renvoient à un échos de se qui se passe aujourd’hui dans les colonies et néo-colonies de la France. Les manifestations actuelles de cet effet boomerang ne sont pas univoques. C’est – à – dire que les nombreux événements (ex. Paris en 2015…) dus au dit effet et qui ont lieu dans les métropoles occidentales ne sont pas tous de la même source, mais relèvent de la même dynamique : même effet, mais manifestations diverses.
A l’avenir, les actes de refus du mépris colonial ne sont pas à confondre avec un quelconque fondamentalisme. On ne peut envisager l’avenir qu’avec optimisme, car les consciences d’une part, chercheront à mieux appréhender les réalités sociales, se dynamisant en des mouvements de masse de plus en plus importants; d’autre part, l’ignorance, affectera davantage les comportements des individus à l’esprit confondu par la complexité de leurs réalités sociales, l’action individuelle étant le principal vecteur de leurs libération. Le monde est plenn (mot guadeloupéen qui veut dire enceinte) de l’ »effet boomerang« . Seuls des mouvements de masse multiples permettront la mise bas d’un autre à venir à nos enfants !